LE ZÈBRE À RAYURES ROUGES
Le Lutin d'Ecouves

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LE ZÈBRE À RAYURES ROUGES

Par Le Lutin d'Ecouves - 20-06-2016 14:03:31 - 13 commentaires

 Le problème quand on ne pèse que trente kilos à dix-douze ans, c'est qu'on n'est pas armé pour la grande confrontation entre primates qui démarre à cet âge-là. Que ce soit dans la cour du collège ou sur nos terrains de jeux habituels, la baffe ou le petit coup sec sur le dessus du crâne permettait aux plus robustes d'asseoir leur suprématie sur le groupe sans créer trop de dégâts ni faire trop de remous. En cette deuxième moitié des années soixante, la chose était tacitement établie et les adultes intervenaient peu dans nos conflits.

Il fallait finalement accepter cet état de fait si l'on ne dominait pas ses congénères de la tête et des épaules. Soit on s'alliait avec un balèze, ce qui n'était pas toujours possible, soit on essayait de ne pas se trouver tout en bas de la hiérarchie en distribuant plus de baffes qu'on en recevait.

J'avais réussi à m'intégrer dans une petite bande plutôt sympa composée de quatre membres et dirigée par Richard. Richard était le plus malin d'entre nous, ou le plus volubile, ou le plus sociable... en tout cas, c'est lui qui avait le plus de taches de rousseur. Le problème, c'est qu'il était aussi le plus trouillard, ce qui en faisait un sacré chef de bande à la petite semaine. Il suffisait que le bruit courre que la bande des Portugais tournait dans le coin pour que nous ne sortions pas de son immeuble.

Gilles lui, était costaud. Vantard aussi, mais costaud, enfin, il se portait bien comme on disait à l'époque. En fait, il ne savait pas se battre mais il avait d’autres qualités : dans sa cave, il y avait les bandes dessinées de son père, des bandes dessinées italiennes pour adultes dans lesquelles des héros appelés Diabolik ou bien Satanik faisaient le mal et s'en tiraient à chaque épisode malgré la présence de Gentils beaucoup moins doués que les Gentils actuels. Que les méchants gagnent à la fin nous importait peu, le principal intérêt de ces "Fumetti Neri" venait du fait que les méchants habillés en Fantômas spaghetti croisaient des jeunes femmes très peu habillées et même parfois nues sans toutefois que l'on distingue la moindre pilosité ni le moindre bout rose.

Michel était le plus gentil et le plus timide. Presque roux à la chevelure crépue, il avait aussi des taches de rousseur, une peau pâle et une grande taille. On l'aimait bien parce qu'il ne posait pas de problème, c'était un bon camarade plutôt bon élève et d'une grande douceur. Un jour, alors que nous nous livrions à un de nos jeux idiots consistant à se déculotter les uns les autres (en été, nous étions tous en short), nous nous étions aperçus que Michel n'avait pas la peau du bout. Il lui fallut certainement faire un gros effort pour nous expliquer, malgré sa timidité, que dans sa famille c'était normal et qu'en fait il s'appelait Mohamed. Ses parents l'avaient inscrit à l'école sous le nom de Michel pour qu'il s'intègre mieux, je suppose. En tout cas qu'il s'appelle Michel ou Mohamed, notre ami était bien trop pacifique pour impressionner quiconque malgré sa grande taille.

J'avais donc de bons copains, certes, mais ce n'était pas un gage de sécurité. Il me fallait me positionner dans la grande foire aux babouins pour ne pas me retrouver en bas de l'échelle. J'étais tout petit, plutôt rapide mais fort maladroit. Puisque mes camarades n'avaient pas les moyens de me protéger (Le terme "la bande à Richard" faisait plutôt rire), il me fallait ou me soumettre aux brimades des plus méchants ou trouver un moyen de me rebeller.

Dans une décharge, j'avais un jour trouvé une gaine en caoutchouc de câble téléphonique. Épaisse comme un pouce, elle faisait un mètre cinquante de long et était extrêmement souple. A l’époque, le héros en noir et blanc qui vidait les bas d'immeubles au profit des télés chaque jeudi en fin d'après-midi s'appelait Zorro... et il avait un fouet, chouette ! Après m'être exercé sur mon ours en peluche qui en avait vu d'autres, je sortis enfin équipé de ma gaine téléphonique enroulée à la main et attendis le premier petit imbécile qui viendrait me provoquer. Dans la cité, il ne fallait pas attendre longtemps et la première parole déplacée fut sanctionnée par un claquement qui laissa une marque bleu-noir sur le haut de la cuisse dudit petit imbécile.

Satisfait de mon équipement, je décidai de sortir avec le plus souvent possible et je constatai un progrès dans le comportement des autres : les plus agressifs devenaient méfiants.

Cela dit, je ne me faisais pas respecter pour moi-même mais parce que j'étais, en quelque sorte, armé. Si je montais de quelques crans au niveau de la hiérarchie simiesque, je descendais dangereusement au niveau réputation. Frapper les autres à distance n'était pas bien vu. J'avais la gaine mais pas le plaisir...

Que faire quand on n'a que des copains trouillards, un petit physique et pas de technique de combat ? Il me fallait trouver quelque chose d'original. (Bruce Lee, est arrivé bien plus tard, l'ablette qui met une toise au gros poilu de Chuck Norris aurait été mon héros N°1 !)

L'hiver précédent, j'avais expérimenté la fourchette, geste bien connu qui consistait à balancer deux doigts dans les yeux de l'adversaire. Efficace mais réversible et je n'avais pas forcément envie qu'on remette le couvert.

J'eus finalement l'idée lumineuse de me laisser pousser les ongles. J'ai toujours eu de beaux ongles bien durs dont je ne me servais jusqu'ici que pour me curer le nez. Je sais, griffer c'est un truc de filles mais avais-je le choix ?

C'était un après-midi d'août et l'atmosphère de la cité était à l'orage. A cette époque, les champs entourant les immeubles grouillaient d'enfants de tous âges. Alors que je m'occupais à dénicher des grillons en les chatouillant dans leur terrier avec une herbe sèche, un gamin de mon âge vint me chercher des noises. Peu aimable et facilement agressif, je l’envoyai aussitôt sur les roses. Il revint à la charge en me donnant des petits coups de poing sur le haut du crâne, chose que ces grands cons de cinquièmes faisait régulièrement subir aux sixièmes. J'en avais soupé toute l'année au collège, je n'allais pas me laisser faire. L'entrevue houleuse tourna à la bagarre et nous nous retrouvâmes bientôt au sol à rouler l'un sur l'autre. Ce crétin avait le dessus, étant plus lourd, et essayait de me plaquer les épaules au sol pour montrer qui était le plus fort à l'instar des catcheurs que nous adorions regarder à la télévision. Être bloqué sous quelqu'un de plus robuste me sembla tellement humiliant que je décidai d'employer l'arme atomique.

Les premières griffures lui firent lâcher une main puis l'autre. Dès que je fus dégagé, je m'employai à lacérer avec fureur chaque zone découverte de l'adversaire : visage, jambes et bras. Nous étions tous équipés de shorts courts (pléonasme) et de légers maillots de corps, ce qui laissait de la place à ce type d'agression. Tout cela fut réalisé avec une féline célérité et le bénéficiaire fila chez lui en couinant d'importance. Les autres enfants me regardaient d'un drôle d'air mais ne trouvèrent rien à redire.

Quand je rentrai dans mon appartement quelques temps après, je n'en dis rien à personne et allai dans ma chambre. La sonnette de la porte d'entrée finit par m'en extraire. Convoqué par ma mère, je découvris un spectacle cocasse : mon adversaire de la journée était accompagné de sa chère maman qui s'était appliquée à surligner chaque griffure avec du mercurochrome. Des pieds à la tête, il en avait bien une trentaine, ça devait sacrément brûler ! Comme il avait la peau bien blanche, on aurait dit un zèbre à rayures rouges.

Sommé de m'expliquer, je pris d'abord une baffe. C'était la dure loi de l'Ouest et chacun l'acceptait : on frappe d'abord et on s'explique après. La baffe eut un effet diplomatique bienvenu et la maman repartit bien vite avec son petit zèbre. Quant à moi, je m'expliquai avec la mienne de maman qui se rangea vite à mes arguments : ce petit con l'avait finalement bien mérité.

Les enfants de la cité comprirent qu'il n'était pas bon de m'asticoter outre mesure et, à partir de ce moment, l'on me laissa plus souvent tranquille. Je ne gagnai pas en réputation vu ma technique, disons, discutable de défense qui n'était pas considérée comme "noble" à l'époque. En fait, quand Marvel Comics introduisit dans les années soixante-dix le personnage de Wolverine avec ses griffes en adamantium, je m'aperçus que j'avais juste eu de l'avance et avais simplement été incompris comme nombre de précurseurs.




 


© Marvel Comics

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13 commentaires

Commentaire de philtraverses posté le 21-06-2016 à 21:17:44

Billet à lire au second degré bien sur. Comme tu dis technique "discutable" de défense. Le mot est faible.
La véritable question est : pourquoi être obligé de se battre pour avoir la paix? Ne peut on vivre en paix sans être emmerdé
par les autres ?
Perso, je n'ai jamais accepté la règle selon laquelle, pour être respecté, il faut se battre. Refusant cette règle, je choisis le repliement sur soi et les stratégies de fuite et refusai de m'allier avec qui que ce soit. Aussi, bien sur, fut je harcelé par ces
chers bambins. Plus tard, mon statut social et mon métier me permit et me permet toujours de régler quelques comptes avec certains cons, imperméables à d'autres lois que celle du plus fort, que je pressentais comme étant nécessairement d'anciens harceleurs.. Car généralement ceux-là évoluent en cons.
Peut être as tu choisi ton métier d'instit pour régler aussi des comptes à ce niveau.

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 22-06-2016 à 09:33:24

D'abord merci Phil de me rassurer sur le fait qu'il me reste un lecteur ;)
En ce qui concerne mon métier d'instituteur, ce ne fut pas pour moi une revanche mais un hasard, j'étais un cancre (j'ai redoublé trois classes) et c'est la vie et une certaine facilité à communiquer qui m'ont mené à cette carrière.
En ce qui concerne la violence, je m'interroge toujours... J'explique dans ce récit que, n'ayant pas les moyens physiques de me défendre, il me fallait trouver des solutions. Attention à ne pas interpréter cela avec le filtre actuel, cette histoire se passe juste avant 1968, dans une société dans laquelle la violence n'a pas le même statut qu'aujourd'hui,
Quant à la méthode "discutable", elle choque parce-qu'elle est transgressive et j'ai toujours aimé la transgression.

Commentaire de Mustang posté le 22-06-2016 à 23:05:14

Je n'ai jamais été confronté à la violence durant ma jeunesse, juste à la bêtise et à la méchanceté !

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 23-06-2016 à 11:14:49

Tu as eu de la chance, il était plus facile de passer les premières années de collège à Argentan qu'à Montbéliard dont la moitié de la population de l'époque vivait en cité
L'enfance dans les cages d'escalier et les caves d'immeubles a toujours été plus rude que dans les maisons individuelles ou les logements de fonction.
Nos élites ne savent pas à quel point...

Commentaire de Arclusaz posté le 23-06-2016 à 17:12:19

c'est vrai que les enfants étaient plus vite et plus fréquemment confrontés à la violence à cette époque. Sans la légitimer et sans faire le psychologue à deux balles, je ne peux m'empêcher de me demander si cette confrontation n'était pas un moyen de vite se rendre compte qu'elle ne sert à rien.
Moi, je vivais à la campagne, j'étais un peu l'intello au milieu des paysans (paysan n'ayant aucun côté péjoratif). En primaire, certains aimaient montrer qu'ils étaient bien bien plus costauds que moi dans des "combats" à la récré. Mais, il n'y avait pas de méchanceté là dedans, juste un besoin instinctif. Pareil avec mon frère ainé de 2 ans dont la conduite avec moi pourrait maintenant être qualifiée de harcèlement mais à qui je n'en veux pas du tout. Mais, si mon gamin se faisait frapper maintenant, avec mes repères du 21eme siècle, ke réagirais immédiatement. Les temps changent, nous aussi.....

Commentaire de Caracole posté le 24-06-2016 à 09:19:41

L'époque du primaire m'avait initiée à la cruauté facile et à l'injustice, souvent conséquence d'imbécilité ordinaire. Et j'ai le regret de le dire, elles émanaient parfois des instits. Mais je n'en étais pas l'objet.
Je ne découvris l'opprobre qu'en 5e et 4e, où je subis brimades et humiliations de quelques enfants de bourgeois gâtés qui faisaient la loi, et dont l'une avait pourtant commencé par être mon amie.
Etrange revirement, qu'encore maintenant je n'ai pas vraiment élucidé.

Mon garçon rentre en 6e en septembre prochain, avec sa dispraxie, ses troubles autistiques, son ordinateur, son sourire ravageur, sa trouille et son immense courage. Papa et Maman sont fiers et sourient. Le premier qui le touche, on l'explose.

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 24-06-2016 à 10:08:44

Je te comprends, étant passé par là pour des raisons similaires... Je n'ai malheureusement pas trouvé de solution et j'ai dû mettre mon cher enfant dans une institution privée dès la quatrième tout instit du public que j'étais. Un imbécile de collègue m'a dit un jour que c'était une faute professionnelle.
Nos enfants sont ce qui nous est le plus cher, particulièrement quand ils sont différents des autres.

Commentaire de BOUK honte-du-sport posté le 24-06-2016 à 17:37:32

Moi je te lis mon lutin doubien (ou doubiste ???) !!!

Commentaire de philkikou posté le 26-06-2016 à 10:50:40

+ 1 ... Mais non le Lutin t'es pas tout seul !!!! Lu ce billet "souvenir des cours de récré des années 70" en écoutant Rameau... Beau billet et commentaires.. A notre époque le rapport de force et hiérarchie est peut-être moins physique mais plus psychologique, ou avec des mots... les blessures ne sont pas pour autant moins graves...

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 26-06-2016 à 18:48:12

Des années soixante camarade ! Merci de me rajeunir...

Commentaire de Yvan11 posté le 01-07-2016 à 11:28:17

Très beau texte qui m'a moi aussi replongé dans mes années collège pendant lesquelles j'ai du assumer un double statut de gringalet et de premier de la classe. Statut pas évident et choix difficile entre subir et se taire ou dénoncer et se retrouver malgré soi honteux d'avoir eu besoin de faire appel aux adultes. (anxieux de nature, je n'ai jamais réussi à avoir de belles griffes !)

Commentaire de L'Dingo posté le 07-07-2016 à 18:39:27

Mon Lutin,

Certains ont le talent de dépeindre des paysages , des lieux avec mille nuances et détails qui font dire au lecteur " c'est cela , tel que j' y suis allé".

Toi, c'est de décrire des instants , une tranche de temps où foisonnent d'innombrables points de répère révélateurs d'une époque disparue et qui font dire à certains d'entre nous: "Mais oui, c'est cà ! c'est tel que je l'ai vécu".

Pour tout cela merci et continue ;-)

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 07-07-2016 à 19:00:29

Tu vas me faire rougir... Merci Didier.

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