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J'AI MON BAC !

Par Le Lutin d'Ecouves - 28-04-2021 19:46:35 - 8 commentaires


2 juillet 1976


Ce matin il faisait 23 degrés au lever du soleil mais on frise les 30 à huit heures ; j'attends dans un couloir du lycée Alain qu'on veuille bien me rattraper par le col du paletot...

Rattrapage qu'il s'appelle cet oral. L'année dernière, ma moyenne abyssale m'avait permis d'y échapper et j'avais remis le couvert en Terminale à vingt ans faute de faire autre chose. Le redoublement, je connais bien, c'est la troisième fois que je m'y mets et je suis presque devenu un expert. Mon âge et mon look à la Led Zeppelin m'ont attiré le respect des autres lycéens ; l'année s'est bien passée sans fatigue excessive, je n'ai rien fait et je suis moi-même étonné de me retrouver là avec pile huit sur vingt de moyenne. Il y a un gros tas de points à rattraper pour aller à dix, je n'ai rien préparé ni révisé...

Ah si, j'ai révisé mon look et je me suis sérieusement fait raccourcir les douilles par le coiffeur de la place Lancrel. Le type, il n'osait pas vraiment tailler dans mes anglaises mais j'ai insisté. Je suis ainsi passé de Led Zeppelin aux Beatles. Un truc comme ça peut emporter le morceau. J'ai déjà l'intuition que l'aspect et la tchatche comptent autant que la compétence en relations publiques.

Et puis j'ai relu le seul cours dans lequel j'ai pris des notes. Le prof d'Histoire-Géo, les filles l'appellent "Cochonnet" non parce qu'il a un comportement inapproprié, que nenni, mais à cause de son physique peu avantageux et de son nez retroussé. Le type a appris à se faire respecter et même des velléitaires comme moi prennent des notes vu que dans ce cours, c'est obligatoire. Ajoutez à cela qu'il a un sens de la clarté et de la concision qui font qu'en deux heures, j'ai pu digérer une année de cours sans difficultés. Un bon prof, quoi.

A cette époque, les scientifiques du Bac D dans lequel je m'étais égaré ne passaient l'Histoire-Géo qu'au rattrapage. Donc les bons n'avaient pas besoin de savoir que Tegucigalpa est la capitale du Honduras et que Franklin Roosevelt est à l'origine du New-Deal. Résultat, ils seront toute leur vie des daubes au jeu des mille Francs Euros.

Arrivé dans la première salle, je tire deux sujets et attends mon tour. Face à l’examinateur, je n'ai pas besoin de lire de notes, la géographie de l'URSS et justement Roosevelt : je recrache le cours hyper concis de mon prof en quelques minutes. "C'est tout ?" qu'il me dit le monsieur, "Ben c'est le cours de mon prof". "Je reconnais bien le cours de Mr M..., Dix-sept sur vingt ça vous va ?"

Tu parles Charles, ça me fait 34 points, il ne me reste plus qu'à gratter le dessus de la croute du fromage et sur un malentendu, j'ai mon bac. Après tout, les funambules ne tombent pas toujours...

La physique... je n'ai jamais dépassé le cours sur le mouvement uniforme et je n'y comprends pas grand chose. Heureusement, la chimie rattrape un peu le coup, je fais presque illusion. Passons à la physique proprement dite, le prof me propose un sujet du programme du premier trimestre, je rame, je rame et il me rajoute un point. Coeff 4, c'est toujours ça. Merci monsieur.

Dernière salle, le prof de math est à l'article de la... retraite. Le langage mathématique m'est subitement devenu abscons et même abstrus dès le début de la classe de Première. J'ai toujours préféré écrire des articles pour le journal du lycée ou adapter des pièces de théâtre en version trash (mon meilleur succès : Phèdre transposée dans le milieu de la prostitution) mais voilà, les sections scientifiques sont le dessus du panier et je me suis bêtement accroché à l'anse. Résultat : une Première et deux Terminales dans le brouillard. Le prof donc, il est bien sympa et sa longue expérience lui fait aussitôt comprendre que je n'y pipe pas grand chose à ses hiéroglyphes. C'est un bon pédagogue et il me fait une démonstration à laquelle je comprends effectivement quelque chose. Ça doit lui faire plaisir, il se note lui-même en me notant. Onze, c'est la première fois que j'ai la moyenne en maths en deux ans. Six énormes points de plus, coeff 4, c'est le Banco !

Comme je n'ai pas vraiment fait de calcul précis, je ne sais pas encore si j'ai vaincu la Bête mais je suis soulagé.

Midi, on approche des 35 degrés. Je mange seul car Maman est partie en Corse avec son copain. Je l'ai rassurée :"Ne t'inquiète pas pour le Bac, je n'ai aucune chance de l'avoir, l'affaire est pliée". Elle n'aura le résultat qu'en rentrant de vacances, à l'époque pas de téléphone portable ou d'Internet, même pas de Minitel c'est dire !

J'ai un rendez-vous à 14h : je dois passer la conduite pour mon Permis. Je monte dans le véhicule totalement détendu. Mon absence de trac me permet d'avoir tout bon et je réussis même mon créneau du premier coup. Je ressors avec le sésame à la main. Trop bien !

J'annonce ça à ma copine Josette quand elle sort du boulot à l'hôpital où elle va bosser tout l'été pendant que je vais glander faute d'avoir cherché un job. Elle, elle est déjà étudiante. Trop facile quand tu as eu ton bac à 17 ans ! Nous allons chez moi puis à l'heure dite au lycée pour l'affichage des résultats. 

C'est mon nom, pas de doute. Au bout de six ans de primaire, cinq ans de collège et quatre ans de lycée, j'ai enfin mon Bac ! Comme je n'avais pas prévu cette éventualité, je ne me suis inscrit nulle part. On verra bien, pour le moment, on fête cela. Je contacte ma sœur et mon ami Daniel, on se bricole une salade sur la pelouse et on tape dans la cave de Maman. Le champagne coule vraiment à flots, ce n'est pas tous les jours qu'on obtient son Permis de Conduire et son Baccalauréat en quelques heures.

A minuit, il fait encore trente degrés, on n'a pas trop l'habitude de cela en Normandie... Les bouteilles jonchent la pelouse jaunie. Je suis un peu nauséeux. Je ne vais pas tarder à vomir sur la descente de lit peu de temps après m'être couché. 

Ce deux juillet 1976, j'entre dans ma vie d'adulte sans savoir ce que je ferai en septembre. Je ne suis pas du genre à me mettre la rate au court-bouillon, alea jacta est !



 

 

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