Bon, ben je ne mourrai pas idiot, je viens d'installer Skype sur le portable de mon épouse. Je n'en avais jusqu'ici pas ressenti la nécessité, ma vie sociale étant plutôt fournie et le nombre de mes connaissances tellement important que j'oublie parfois les noms, ce qui me pousse souvent à répondre à "Salut Thierry" ou "Salut Lutin" par : Ah, salut toi..., ça va ?"
Oui, le Lutin a beaucoup de connaissances, ce qui est normal quand on vit dans la ville qui vous a vu naître 64 ans auparavant : des sportifs, d'anciennes connaissances du collège ou du lycée, d'anciens élèves et parents d'élèves, des conseillers municipaux et même le député. J'ai beaucoup traîné dans l’associatif et j'y traîne encore. Ça fait du monde. Mais c'était avant, avant les Temps Modernes où, pris dans les engrenages en roue libre d'une société que rien n'arrête, nous tournons, nous tournons... en rond. Moi qui aimais faire le Charlot, me voici obligé de faire le confinement.
Eh oui, nous voilà confinés tels des rats de laboratoire en attendant la fin de l'expérience. Je ne vais pas me plaindre outre mesure, j'ai un petit jardin (zut, il fait froid) et je sors une cinquantaine de minutes chaque jour de manière subreptice au crépuscule sans me prendre pour Hercule car le gouvernement m'en... donne l'autorisation pour pratiquer une sortie sportive me permettant de ne pas encombrer les urgences psychiatriques de la cité.
J'ai de la chance oui car je vis avec ma chère épouse qu'après presque deux semaines de confinement je n'ai toujours pas envie de frapper, ce qui est un bon indice quant à la qualité de notre union.
Cela dit, je commence à avoir le boyau social qui gargouille...
C'est Brain, mon ami ingénieur spirouphile qui m'a suggéré d'installer "Skaïpe", moi qui croyais que c'était une imitation cuir. Eh bien, c'est plutôt sympa et ça donne un peu plus de présence dans la maison. Voici pourquoi, moi qui ne picolais que le week-end, je me suis mis à pratiquer l'apéro-Skype deux fois la semaine. La première fois, ce fut donc avec Brain. Nous avons parlé de choses et d'autres donc bien sûr de cinéma car l'animal est plus que féru de toile, surtout ancienne et même muette. Nous avons aussi pas mal parlé de grammaire car je corrige en ce moment son livre de 600 pages sur le cinéaste Henry King. Plus de deux heures après, les sujets n'étant pas épuisés, nous convînmes d'un rendez-vous hebdomadaire.
Enthousiasmés, nous avons réitéré à trois écrans avec mon fils ainsi qu'avec ma fille et son époux. Ça fait vraiment du bien de revoir sa petite famille et surtout mes deux petites chéries adorées et merveilleuses petites-filles d'amour (ben oui, ça fait cela d'être papy). On a causé de choses et d'autres et bien sûr du connardevirus. Arielle, bientôt six ans, était très à l'aise avec ce type de contact virtuel alors qu'Olivia (16 mois) semble n'avoir pas trop compris ce qui se passait.
Comme dirait Bradbury, Skype peut finalement servir de remède à la mélancolie... mais il y a un hic : lors de ces séances, je me suis aperçu que, comme après la première tournée, je n'avais pas de refus de mes commensaux pour en servir une seconde vu que chacun chez soi a son chaix, j'avais tendance à me resservir deux, trois ou quatre fois. Et comme je suis un amateur de rhum pur, j'ai bien peur qu'une fois le confinement terminé, je sois amené à fréquenter un autre type de réunion lors de laquelle on s'assoit en cercle et on se présente en rajoutant : "Je suis alcoolique".