Pas une âme, pas un souffle, l'hiver a enseveli Ecouves dans un silence de cristal et je chemine au Bord du Monde.
Aux environs de la Pierre-Chien, les arbres m'interpellent : As-tu entendu le doux silence engourdi des douleurs qui sommeillent ? Viens-tu nous visiter avant que ne tombe le soir, avant que ne chute l'espoir ?
Sur les sentiers de la Croix, ils dressent leurs aiguilles, fiers et droits, sombres et indifférents, les sapins me laissent passer trop occupés par la musique des cimes jouée par le vent aux dents de verre.
Mon pied est d'argile, mon souffle est blanc, je suis seul, ils sont si nombreux perdus dans l'embrouillamini de l'incessant réseau des sentiments. Ils se touchent, ils se caressent, ils se blessent, ils se brisent, ne laissant derrière eux que le souvenir amer d'anciens sentiers autrefois si prometteurs.
Sur le chemin des étangs, j'entends les pins sylvestres célébrer le matin par leurs chants azurés. Légers, graciles et doux, ils sont oublieux des tempêtes et attendent d'autres temps, je les envie. Ils me saluent et m'offrent une éclaircie miraculeuse, tendre illusion, merveilleux sourire.
Perdu dans mes pensées, je m'enfonce à nouveau dans la brume puis descends vers la stèle de ceux qui ne sont pas revenus ; j'y croise un ami cher : Regarde-moi, je suis le chêne, le lierre m'a pris et je m'en vais fier et droit.
Il est temps de rentrer. Déchirant des voiles de tristesse, je m'enfuis enfin. Arrivant près du Verdier, gravissant les durs flancs de la Dalle, je m'arrête un instant sur son sommet de grès. Ni homme, ni bête, durant ces longues heures glacées. Je descends le Vignage, le sud d'Ecouves m'appelle.
Au bord du monde, je suis un funambule
Perdu dans la lumière des sentiments
Sur les chemins de ma vie somnambule
Je marche et puis vacille un court instant
Aimez-moi, aimez-moi encore un peu
Et si m'aimer vous fait souffrir...
Oubliez-moi