En balade du côté du Fort de Bertheaume à mi-chemin entre Brest et la Pointe St Mathieu, mon épouse et moi décidons de pique-niquer en ce lieu magnifique et quasiment désert. Au sol, je remarque des trous qui excitent ma curiosité entomologique.
Curiosité bientôt récompensée par l'arrivée d'une femelle sphex gryllivore (sphex funerarius). Je n'ai pas mon hybride ni même un compact expert mais mon téléphone portable. Je vais faire avec...
La bestiole s'envole bientôt puis revient rapidement avec de la compagnie qu'elle pose au sol :
Apparemment une decticelle côtière femelle, une sauterelle de belle taille que le sphex a capturée et paralysée d'une bonne série de coups de dard (dont elle ne se servira jamais pour vous piquer) au niveau des centres nerveux de sa victime. Le grand Jean-Henri Fabre a décrit le comportement de ce type de sphégien en narrant ainsi le meurtre d'un grillon par un sphex à ailes jaunes, espèce très proche :
"Les dispositions du meurtrier sont bientôt prises. Il se met ventre à ventre avec son adversaire, mais en sens contraire, saisit avec les mandibules l'un ou l'autre des filets terminant l'abdomen du Grillon, et maîtrise avec les pattes de devant les efforts convulsifs des grosses cuisses postérieures. En même temps, ses pattes intermédiaires étreignent les flancs pantelants du vaincu, et ses pattes postérieures s'appuyant, comme deux leviers, sur la face, font largement bâiller l'articulation du cou. Le Sphex recourbe alors verticalement l'abdomen de manière à ne présenter aux mandibules du Grillon qu'une surface convexe insaisissable ; et l'on voit, non sans émotion, son stylet empoisonné plonger une première fois dans le cou de la victime, puis une seconde fois dans l'articulation des deux segments antérieurs du thorax, puis encore vers l'abdomen. En bien moins de temps qu'il n'en faut pour le raconter, le meurtre est consommé, et le Sphex, après avoir réparé le désordre de sa toilette, s'apprête à charrier au logis la victime, dont les membres sont encore animés des frémissements de l'agonie." Souvenirs entomologiques, Jean-Henri FABRE, 1879, Ière Série, Chapitre 7.
On en est donc là, la victime, plus longue et plus grosse que son prédateur ne bouge plus. Une fois posée, le sphex chevauche sa proie et la traîne en direction de son trou en la tenant fixée sous son corps.
Voilà son trou parmi une bonne dizaine sur quelques mètres carrés. Même si cet hyménoptère ne vit pas en communauté, on peut le trouver en bourgade où chacun fait son trou à côté de celui des autres. Gare cependant au vol de proies qui se pratique entre prédateurs parfois indélicats. Le conduit est trop fin pour que le sphex puisse entrer avec sa proie sous le ventre, il abandonne fugitivement la sauterelle pour pénétrer dans son antre qui comporte deux ou trois loges et dont le fond est assez large pour y faire demi-tour.
Rapidement de retour, le sphex attrape sa proie par la tête et la traîne en marche arrière.
La sauterelle est toujours vivante et elle le restera assez longtemps pour servir quelques repas frais à la larve de son prédateur.
Une fois la sauterelle en place, le sphex va pondre un œuf de trois millimètres de long sur son thorax. De cet œuf sortira au bout de trois ou quatre jours une petite larve qui va dévorer progressivement la sauterelle toujours vivante mais paralysée. Puis la larve s'entourera d'un cocon où elle passera des mois avant de se nymphoser et finalement sortir de son enveloppe sous la forme d'un sphex adulte à la belle saison.