Bestioles et reproduction
Ce2-CM1-CM2 : trois niveaux à mener de front ! Parfois plus de quarante-cinq heures de boulot par semaine quand on n’a pas encore assez d’expérience professionnelle. Chaque matin, trois leçons de maths, trois leçons de français, des exercices différenciés et trois textes de lecture différents. Tout cela débordait sur l’après-midi et il fallait ensuite que je place l’histoire-géo, l’art, la musique, le sport et les sciences. Heureusement que la journée de travail faisait 6h45 car les enfants ne travaillaient pas le samedi pour des raisons liées aux transports scolaires.
Une fois le français et les maths bouclés, je n’avais pas d’autre choix que de proposer aux élèves des séances communes dans les autres matières, les plus jeunes comprenant ce qu’ils pouvaient dans des leçons destinées en priorité aux cours moyens.
Le problème, c’était que je ne pouvais pas resservir les mêmes plats aux mêmes gamins pendant trois ans. Il fallait donc varier…
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C’est pour cela qu’en sciences, entre autres, je choisissais plusieurs thèmes chaque année en accord avec les enfants.
La nature environnante nous fournissait de nombreuses pistes de travail et c’est ainsi que mon épouse et moi avons eu en classe des phasmes, des tourterelles, une buse (nourrie avec des tranches de taupes), des mulots, des hérissons, des escargots et même des chauves-souris que nous nourrissions avec de gras tipules (cousins), sans parler des cadavres de ragondins, renards et autres blaireaux ramassés sur la route ou dans la nature par les parents et qui parfumaient l’école pour un jour ou deux.
Aujourd’hui, tout cela serait impossible avec les règles sanitaires imposées aux écoles et destinées à protéger nos petits devenus depuis allergiques à tout.
Adeptes fanatiques de la Hulotte (le journal le plus lu dans les terriers), nous avions aussi constitué des aquariums pleins à ras bord des plus exotiques bestioles trouvées dans les mares voisines.
Les enfants ont ainsi découvert l’incroyable faune qui grouillait sous les lentilles d’eau : limnées, nèpes, gammares, sangsues, notonectes, gerris et les fameuses larves de phryganes qui s’habillaient en fonction de ce qu’elles trouvaient dans leur milieu.
Tout cela vivait sous la menace des plus terribles prédateurs que la nature ait porté : les larves gloutonnes des différentes espèces de libellules et surtout le fameux Dytique bordé, énorme coléoptère dont la morsure dissout l’intérieur de ses proies. Un tel individu peut vous stériliser une mare en peu de temps. Pratique pour nettoyer un aquarium dont on n’a plus besoin…
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Parmi les sujets d’études proposés par les enfants, je me souviens particulièrement de ce que me demandèrent mes élèves ce printemps lors duquel ma femme s’arrondissait à vue d’œil …
Cette année-là, j’avais une écrasante majorité de filles en CM et elles étaient, comme souvent à cet âge-là, bien plus mûres que les garçons.
J’aurais dû m’y attendre… A la question : « -Que voulez-vous qu’on étudie maintenant en sciences ? », la réponse fut vite apportée : « On veut savoir comment on fait les bébés ! »
C’était effectivement dans le programme et je ne pouvais pas reculer. Il allait falloir aborder le sujet avec tact, précision et sans circonlocutions.
Après une première séance consacrée à un simple échange avec les enfants, je m’aperçus qu’ils n’avaient qu’une vision floue de la chose et, s’ils avaient une vague idée de ce qu’était la petite graine, aucun de mes élèves n’avait une connaissance précise du jardinage nécessaire pour arriver à la récolte, sans parler des outils ...
Tout était à construire et comme on était à la campagne, j’attaquais directement avec les mammifères domestiques présents dans les fermes.
Las, cela faisait bien longtemps qu’on ne menait plus la vache au taureau comme autrefois. Tout se faisait déjà grâce à la technologie vétérinaire.
Cependant, j’avais le gars E… qui était certainement le dernier garçon de sa génération à parler avec un fort accent normand. Très proche de son grand-père, il avait, grâce à lui, une connaissance approfondie de la Nature en général et des animaux en particulier.
Avec l’aide d’E… et de quelques documents, nous pûmes aborder la reproduction des chèvres, des vaches, des cochons, des moutons sans éluder la question de l’accouplement, employant des termes précis que j’apportais au fur et à mesure de la progression des leçons.
Au bout de quelques séances, je pensais que tout s’était éclairci et je posai la question à mille francs :
« Bon, on a tous bien compris, donc ça se passe comme ça chez les mammifères et vous tous êtes des …
- Mammifères m’sieur ! - Donc, en ce qui concerne la reproduction… » Là, j’ai vu le E… devenir tout vert. Lui qui savait que le coq coquait la poule, que le mouton grimpait la moutonne et que le cochon allait amont la coche (c’est comme ça qu’on dit chez moi), il n’avait jamais imaginé un seul instant que Papa pouvait faire de même avec Maman.
J’intervins :
« Qu’en conclus-tu E… ? Tu es bien venu au monde, tu as bien eu un petit frère.
- Ah, tout de même ! Tout même… Ben, euh…, ben non tout de même ! Maman, elle est allée à l’hôpital et on lui a fait une piqûre… - Tu es sûr ? Nous sommes bien des mammifères comme les autres, non ? » J’entendis les rouages du cerveau d’E… grincer un moment. Il passa par toutes les couleurs mais comme il était plutôt intelligent derrière son aspect mal dégrossi, il dut se rendre à l’évidence même si ce n’était pas facile pour lui. Il avait grandi, subitement.
Les filles, elles, avaient tout compris ; il ne restait plus qu’à aborder l’évolution du fœtus puis l’accouchement et le cycle était bouclé. Mes gamins avaient la connaissance et surtout les mots exacts pour la formuler.
L’évaluation notée qui suivit fut un gros succès, les notes allant de 15 à 20/20.
Nous terminâmes comme nous avions commencé : par une discussion. Je demandai aux enfants ce que ce travail leur avait apporté et s’ils en avaient profité pour avoir des échanges à ce propos avec leurs parents.
Apparemment, les familles avaient apprécié et, voyant le sourire malin de L…, une jolie petite brunette, je l’interrogeai sur la réaction de ses parents. En guise de réponse, elle me fit une imitation désopilante de sa mère qui tournait en rond en se posant des questions sur la façon dont elle allait aborder la chose avec sa fille qui allait bientôt avoir onze ans puis du soulagement qui fut le sien quand elle apprit que, finalement, l’école avait pourvu à cela.
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Cette année-là, mon fils est né et le mur de Berlin est tombé. Les CM2 de cette époque ont maintenant 33 ans et beaucoup sont certainement de jeunes parents. Se remémorent-ils toujours de ce beau printemps de 1989 et de leurs dernières semaines dans cette petite école si familiale et si paisible ?
Deux ans plus tard, nous quittions la campagne pour retourner dans notre pays d’Alençon.