Par Le Lutin d'Ecouves - 31-01-2009 22:33:49 - 3 commentaires
Il y a pas mal d'années, Richard Strauss, qui était mort depuis un bon moment, m'a raconté cette petite histoire lors d'une écoute extatique de ses quatre derniers lieder interprétés par Lucia Popp. J'espère retranscrire ici sa pensée d'une manière pas trop maladroite. Quels que soient vos goûts musicaux, écoutez cette musique avec votre coeur ; vous ne le regretterez pas.
Im Abendrot
Montreux, Lac Léman
Je viens juste de terminer l'orchestration de ce lied d'après un poème d'Eichendorff. J'ai passé tout l'hiver à sa composition. Je suis allé me promener sur les bords du lac en fin d'après-midi. Le spectacle était magnifique ; le soleil qui brille désormais à l'ouest incendie mes chères Alpes que j'ai célébrées jadis dans cette astucieuse symphonie dont les thèmes montent puis dévalent les pentes du toit de notre Europe.
A travers les peines et les joies,
nous avons marché , la main dans la main.
Maintenant, nous nous reposons tous deux
dans le pays silencieux.
Le rouge du couchant se reflète sur la surface si tranquille du Léman. Pour la première fois, cette vision ne me rappelle pas les incendies qui viennent de ravager mon pauvre pays. J'y vois enfin la sérénité de celui qui accepte son destin et qui voit la fin du voyage sans crainte ni remords.
Autour de nous, les vallées s'inclinent,Des remords, je n'en ai point, des regrets peut-être...des regrets certainement. Je n'ai pas à rougir d'être resté dans ma chère Allemagne. Que pouvais-je faire d'autre ? Devais-je quitter mon pays à l'âge de quatre-vingts ans ?
J'ai fait des erreurs. Si je n'ai jamais cru aux élucubrations de ces sauvages de Nazis, j'ai cru à la grandeur de mon pays. Cet hymne des Jeux Olympiques de 1936, je sens qu'on va me le reprocher longtemps.
Les Nazis, je n'étais pourtant pas leur ami. Déjà, en 1935, l'interception par la Gestapo d'une de mes lettres à mon ami juif Stefan Sweig m'avait coûté mon poste de directeur de la Reichmusikkammer. Mon fils, marié à une israélite m'ayant donné des petits enfants juifs par filiation, je ne puis être soupçonné d'antisémitisme.
Mais voilà, je ne me suis pas révolté, je ne suis pas parti...
Viens-là et laisse-les tournoyer.D'où je suis, je vois les lumières de Montreux s'allumer les unes après les autres. Je tourne inconsciemment la tête vers le Nord, vers ma chère patrie que j'ai dû fuir. Reverrai-je un jour l'Allemagne ?
Le noir envahit la nature et seuls les sommets enneigés des Alpes reflètent encore le rutilant incendie. Je songe aux derniers vers d'Eichendorff et je me demande si je vivrai assez longtemps pour entendre ce lied.
O calme incommensurable du soir,Il est temps de rentrer, mes proches vont s'inquiéter...
Richard Strauss (1864-1949) :
Im Abendrot (1947)
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3 commentaires
Commentaire de Mustang posté le 31-01-2009 à 23:34:52
Pleinitude
Commentaire de riah50 posté le 31-01-2009 à 23:56:22
C'est trés beau mon THIERRY,je l'ai écouté 2 fois et quel coucher de soleil,superbe
Commentaire de TIGA posté le 01-02-2009 à 19:11:08
Montreux, montreux.........ça me fait surtout penser à "smoke on the water"
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